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TOURISME: «En 1980 Nous étions en plein socialisme de la mamelle »Interview avec Monsieur  Said Boukhelifa , Président du SNAT  et expert international

M. Boukhelifa au fait de la situation que traverse le secteur du tourisme en Algérie, il brosse un tableau peu reluisant de ce secteur névralgique qui renferme des richesses inexploitées et un potentiel économique pouvant contribuer au développement de l'Algérie pour peu que les hautes autorités du pays mettent en oeuvre une stratégie adéquate telle que déja préconisé dans le SDAT.L'expert Boukhelifa brosse un tableau peu reluisant sur le secteur du tourisme

Algerie-medinfo : Faite nous un tour d’horizon sur votre profil en tant expert dans le domaine tourisme

Said Boukhelifa : J'ai eu l'immense privilège de commencer en février 1975,à l'âge de 24 ans,en pleine période  ensoleillée du tourisme algérien.,qui était rayonnant et flamboyant au niveau du bassin méditerranéen.

Diplômé de l’école  Nationale supérieure du tourisme, j'ai été sous-directeur et directeur commercial à l'ONAT durant 14 ans,

Assistant du PDG du TCA ,Touring Club Algérie, 3 ans puis DG de quelques agences de voyages privées durant 7 ans, avant d'être appelé  au cabinet ,en tant que conseiller ,de  quatre ministres successifs du tourisme,2007-2014,jusqu'à mon départ à la retraite.

En mars 2014,le Président de l'AFEST ,Association Francophone  des Experts et scientifiques du tourisme, était venu de Paris et le Vice-président venu de Tunis, m’ont organisé une collation dînatoire à l'Hôtel Mercure d'Alger, au cours de laquelle, je fus admis en temps que membre de cette association fondée en 1957.

La même année, je fus admis en tant que membre de l'AMFORHT, Association  Mondiale pour la Formation Hôtelière et Touristique, créé en 1959.,puis je fus nommé Délégué pour l'Algérie de l'AMFORHT, en 2016,puis membre de son Conseil d'administration en 2018,puis enfin membre de son Bureau Exécutif en 2021.

AMI : Pouvez-vous nous décrire l’état des lieux du tourisme en Algérie ?

S.B :  L'état des lieux est comme vous le vivez, ainsi que le public algérien, déplorable et peu reluisant  eu égard aux immenses  potentialités touristiques, une richesse dormante, par la faute des pouvoirs publics qui négligent depuis une trentaine d'années ce secteur touristique.

Par manque de conviction et de volonté politique surtout,absente depuis très longtemps,qui existait durant les années fastes, période 1970/1980.

Matérialisée par l'ouverture de 3 instituts de formation à Bou-Saada, exécution, Tizi-Ouzou, maîtrise, Alger / El Aurassi, Management par la construction de plusieurs complexes balnéaires de qualité et à la belle architecture, œuvre d'un architecte de génie, Fernand Pouillon, qui construisit aussi de beaux hôtels sahariens pour le tourisme itinérant en bus à travers les Oasis et la Saoura.

Après avoir investit dans la pierre et dans l'homme, il nous fallait investir dans la communication et la promotion extérieure. Nous avions ouvert 5,bureaux de l'ONAT, à Frankfurt, Allemagne, premier marché émetteur de touristes au monde à l'époque, à Stockholm, Suède, pour le marché scandinave, Londres pour le marché britannique, à Paris et à Bruxelles pour le Benelux. Ce qui nous a valu de bonnes retombées commerciales, e nombreux  charters  pleins de touristes  venus de Suède, d’Allemagne, Hollande, Belgique,  Royaume Britannique, France qui illuminaient  l'aéroport de Dar el Beida par leur chevelure blonde.

Nos complexes balnéaires étaient bondés de touristes étrangers de mai à septembre chaque été, et nos autocars pleins de  ATA/ALTOUR sillonnaient la boucle des Oasis et  celle de la Saoura, de Septembre à juillet, durant 10 mois. Nous étions au diapason que la Tunisie, le Maroc,  Portugal et mieux que l'Egypte et la Turquie, qui nous dépassent largement de nos jours. Hélas. L'Algérie avait appris à faire du tourisme et  depuis trente années, elle a désappris.

 AMI : A votre avis quels sont les rendez-vous que notre pays a raté en matière de développement du tourisme ?

S.B : Pourquoi l'Algérie a -t- elle désappris à faire du tourisme?. Je précise !

En mai 1980, les résolutions du comité central du FLN, décidèrent que nous arrêtions  d'importer les flux  touristiques, les devises du boum pétrolier dû à la guerre Iran/Irak  la même année, les prix flambaient, multipliés par 3,7, suffisaient pour les décideurs de l'époque.  Nous étions en plein socialisme de la mamelle.

Des instructions furent données à Altour, dont je faisais partie, de lancer le tourisme populaire, social, familial. Ce furent des vœux pieux. Une sémantique creuse et verbeuse, durant des années.

Le tourisme domestique en faveur des nationaux, n'est toujours pas développé, quarante ans après.Et on a perdu nos marchés touristiques à l'international. Et en plus de cette malencontreuse décision imbibée par l'odeur du pétrole l'Algérie avait décidé de fermer les 5 bureaux de l'ONAT à l'étranger ouvert durant dix ans. Elle se refermait sur elle-même et s'accordait à vivre en autarcie touristique vis-à-vis de l'étranger. Les années terribles de la période du terrorisme, apporteront l'estocade à un tourisme déjà mal au point. Depuis ,nous demeurons les derniers, sur 22 pays, en Méditerranée.

L'Etat ne veut pas exploiter les offrandes divines tombées du ciel, qui  permettent à la destination Algérie  de se classer parmi les  dix plus beaux pays du monde, mais en termes de mise en tourisme et d'organisation, nous sommes très mal logés.

 AMI: Nous sommes toujours à la traine en matière de savoir-faire , notamment la formation. Vous êtes d'accord! ? 

S.B: Absolument nous sommes à la traîne en matière de savoir-faire qui ne s'acquiert qu'au contact des partenaires étrangers, des pays bien développés en tourisme. Depuis une trentaine années, la formation en tourisme  en Algérie a été négligée  à tous les niveaux de l'exécution au management.
Les programmes pédagogiques dépassés et obsolètes. Les exigences et les besoins de la clientèle  internationale évoluent avec le temps.
 Il faudrait toujours être à l'écoute au niveau des marchés émetteurs de touristes. Concevoir des produits attractifs, innover par rapport à la concurrence afin d'être réactifs.
 
Quand vous marchez en ville, vous vous apercevez  rapidement que notre pays n'est pas touristique, car nous sommes dans une situation de non tourisme depuis belle lurette. Au niveau des cafés, fast foods, restaurants, le service laisse à désirer, parce que le personnel n'est pas formé.
 
Dans le domaine de l'accueil, service, couvert, Il y'a des formations spécifiques. Chaque poste est important, car le tourisme est une pyramide de détails, aucun maillon faible ne doit exister.
La formation des agents de voyages n'est pas  bonne, voire médiocre. Celles des guides inexistante, des réceptionnistes passable.
Seule la partie cuisine qui bénéficie de bonnes formations: chef cuisinier, aide cuisinier, pâtissier.
Le savoir s'acquiert par l'expérience, après l'obtention de son diplôme.Dans un environnement propice aux activités touristiques où la culture touristique est prégnante.
Elle existait durant les années 70. Elle s'était effilochée decrescendo, pour disparaître.
Les ressources humaines, c'est le meilleur investissement à faire en amont. L'homme doit être au centre des préoccupations des décideurs.
 
AMI: A votre avis quelles seraient les solutions pour une reprise plutôt consciente du tourisme? 
 
S.D:  Les solutions à préconiser se trouvent dans le Schéma Directeur d'Aménagement Touristique (SDAT), Cinq fascicules, 200 pages au total.
Il fut conçu en 2007 et consacré en février 2008, lors des assises nationales et internationales, organisées sous la direction de Chérif Rahmani.
Depuis cette date, il est négligé et classé dans les tiroirs de l'oubli.
 
Par manque de conviction, de volonté politique et par manque de compétences, à faire ramener parmi notre diaspora et parmi les marginalisés d'ici. Ce SDAT, véritable boussole pour nous, était attendu depuis 25 ans. Car auparavant on  naviguait à vue et on vivotait par des actions ponctuelles , sporadiques, sans lendemains. Le SDAT est un outil de références de développement durable et harmonieux qui devrait être pris en charge par les collectivités territoriales. Le tourisme est par essence territorial.
 
La politique, la vision et la stratégie relèvent du ministre du tourisme.
Les textes de loi, la régulation aussi.
 
Ce SDAT fut  relégué aux oubliettes, à cause aussi du pétrole, cet or noir, mais malédiction noire pour le tourisme, car à cette période, les cours du pétrole, flambaient à nouveau,100 à 146 dollars, entre 2008 et 2013.  
 
Je rajouterai qu'un haut conseil du tourisme avait été créé en 2002,qui devait être présidé par le premier ministre et regroupant tous les ministres dont les départements sont  impliqués par l'intersectorialité, ministère de l'intérieur, et des collectivités locales, Culture, transport, MDN, Travaux publics, santé, agriculture et forêts...,ne s'était jamais réuni,à ce jour.
 
Chaque semestre, il devait faire une évaluation des travaux projetés.
 
En outre, l'ancien  ministre du tourisme Mermouri avait évoqué  en 2019,la création de ce  haut conseil du tourisme ,sans suite. 
 
A cet effet, je pense que seule une volonté politique, réelle, factuelle, c'est à dire exprimée par des faits, des actes concrets, et non pas textuelle, uniquement, pourrait permettre à ce haut conseil du tourisme de voir le jour et activer comme il se doit.
 
En outre, en mars 2020, sous l'égide du premier ministre et du Patronat, un séminaire a eu lieu, afin de trouver des alternatives aux recettes des hydrocarbures, et faire diversifier notre économie trop indépendante  de ces ressources fossiles. A cet effet, Onze ateliers divers furent installés.
Pas un seul consacré au tourisme.
 
Pourtant le Président de la République, Abdelmadjid Tebboune avait évoqué le tourisme lors de son investiture au Centre international des conférences Club des pins.   
 
AMI:  Faite nous un tableau sur vos activités...
 
S.B: Mes activités actuelles ,au niveau de notre agence de voyages, sont gelées pour des  causes connues, les effets néfastes de la pandémie.
J'ai un RDV mensuel par zoom, la réunion de notre bureau exécutif de l'AMFORHT.
 
Et la tâche qui fait partie de mes préoccupations actuelles, est la structuration du SNAT, Syndicat National des Agences de Tourisme. Préparer l'AGE ,quand les conditions sanitaires le permettront, nous la tiendrons.
 
Elle élira le bureau national et installera le conseil national. Puis après je mettrais  en place les  9 commissions techniques.
 
Ensuite entre octobre ,installation des SNAT régionaux, Hoggar, Tassili, Oasis, Saoura, Centre, Est et Ouest.
De temps à autre, je donnais des conférences sur le tourisme ,dans des universités, la dernière à Boumerdes en juin passé. Après Tiaret, Guelma, Tamanrasset, Tizi-Ouzou, Constantine, Alger.
 
Enfin, je suis en train de peaufiner la 2eme édition de mon ouvrage épuisé , Mémoires Touristiques Algériennes 1962-2018.Souvenirs,témoignages,Portraits,Statistiques.630 pages.  La seconde sera revue, corrigée et augmentée, et elle ira de 1850  à 2021.
680 pages. Une tâche laborieuse et exaltante à la fois.
 
 

 

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